Les freins psychologiques

Notre analyse

Depuis plusieurs années, les travaux de recherche autour des phénomènes de dérèglement climatique, de leurs impacts et de leurs conséquences, sont documentés et surtout approuvés par une majorité de chercheur·euse·s et comités. Tou·te·s s’accordent sur l’urgence de cette crise et du risque si nous ne réagissons pas rapidement. De nombreux·euses lanceur·euse·s d’alertes, associations, organisations s’emploient à communiquer massivement sur ces phénomènes, travaux et rapports faits par les expert·e·s. 

Mais alors que se passe-t-il ? Pourquoi ne réagissons-nous pas ? Pourquoi toutes ces années d’alertes sans réaction suffisante ? 

Nous nous sommes donc interrogé·e·s et tourné·e·s vers l’éco-psychologie, une branche de la psychologie qui existe depuis les années 1990. Ce domaine est spécialisé dans l’étude de la dimension psychologique de la crise écologique et “des processus psychiques qui nous lient ou nous séparent du monde non-humain, processus dont les dysfonctionnements constituent, précisément, selon nous, la cause fondamentale de la crise écologique. Elle constitue, par ailleurs, une proposition de réconciliation de l’être humain avec la nature”, écrit le psychothérapeute Jean-Pierre Le Danff, dans son Introduction à l’Écopsychologie paru en 2010 dans la revue L’Écologiste. Voici les théories et concepts que nous avons répertorié·e·s qui expliquent l’inaction, ou du moins le blocage, de certains individu·e·s face à la crise environnementale que nous traversons.

La disponibilité et la qualité de l’information

Rapports, bilans, compte-rendus, sommets, COP, réunions concernant l’urgence environnementale depuis les années 1970…nous avons plus ou moins accès aux informations relatives à la situation actuelle dans le monde (forêts, océans, déserts, montagnes, biomasse). Nous ne vous apprenons rien : les nouvelles ne sont pas bonnes et des individu·e·s et groupes d’individu·e·s s’emploient déjà à changer la donne en communiquant, sensibilisant et menant des projets visant à réparer ou restaurer la biodiversité que nous avons détruite et continuons à détruire. 

Aujourd’hui, grâce à Internet, aux organisations et aux citoyen·ne·s mobilisé·e·s, la disponibilité et la qualité des informations concernant l’environnement et notre impact sont à la portée de tou·te·s : nous pouvons nous informer simplement grâce à la vulgarisation scientifique et les citoyen·ne·s prennent peu à peu conscience de leurs impacts sur le monde. Cependant, l’accès à l’information reste un problème.

La différence d’accès à l’information

En effet, en fonction de notre catégorie socioprofessionnelle, de notre lieu de vie, de notre métier et de nombreux indicateurs sociaux, nous ne sommes pas égaux·les face à l’accès à l’information sur la situation environnementale. Les individu·e·s en situation de précarité, vivant sous le seuil de pauvreté, éloigné·e·s ou exclu·e·s des sociétés ne peuvent être intégré·e·s à des démarches environnementales ou avoir accès à ces informations. De plus, la fracture numérique contribue à cette inégalité d’accès aux informations.

C’est d’ailleurs ces catégories d’individu·e·s qui sont généralement les premières touchées par les changements climatiques et les préjudices écologiques : pays sous-développés, populations exclues de la société, personnes précaires ou en extrême pauvreté. Si ces individu·e·s sont généralement touché·e·s par les préjudices écologiques, iels peuvent être touché·e·s également par le racisme environnemental, cumulant ainsi des problématiques sociales et environnementales. 

Les individu·e·s ayant accès aux informations et ayant conscience de l’urgence climatique sont donc généralement dans des situations de sécurité alimentaire, avec des accès aux soins et à l’éducation. Cela ne veut pas pour autant dire qu’iels œuvrent pour la cause environnementale et mettent en place des actions visant à réduire l’impact de nos modes de vies sur l’environnement.

Les freins psychologiques

Les freins psychologiques relatifs aux individu.e.s sont nombreux et nous essaierons de les détailler ici. Ceux-ci sont vécus par des individu·e·s dit “favorisé·e·s” comme expliqué précédemment pouvant accorder du temps afin de trouver des solutions à ces problématiques environnementales, sociales et sanitaires affectant notre monde.

Le concept d’impuissance

Ce premier concept concerne la totalité de la population : malgré la compréhension de la menace du changement climatique, l’individu·e pense que ses actions et ses comportements n’ont pas d’impacts sur la complexité des phénomènes. Il pense ne pas avoir assez de valeur et de pouvoir pour changer les paradigmes mis en place. Erika Salomon et ses confrères ont décrit que ce concept bloque le passage à l’action de l’individu.e qui est convaincu.e de son impuissance face aux problèmes.

Le concept d’intraitabilité

Ce concept complète le précédent : l’individu·e considère que ses actions n’auront aucun impact face à l’urgence climatique. Que seul et à son niveau, il ne peut rien car il ne peut pas traiter le problème et la situation.

Le concept d’inertie

L’individu·e n’arrive tout simplement pas à avoir une motivation ou une raison de changer ses comportements et donc ne peut se mettre en action vis-à-vis du changement. L’inertie bloque alors l’évolution des comportements de l’individu·e, ainsi que sa prise de décision : son évolution de mentalité est alors bloquée et l’individu·e entre en inaction.

Le syndrome de l’autruche

Selon Georges Marshall, cofondateur de l’ONG Climate Outreach et auteur du livre Le syndrome de l’autruche : pourquoi notre cerveau veut ignorer le dérèglement climatique explique qu’il est compliqué pour l’individu·e de se mobiliser car notre ennemi n’est pas clairement identifié : le dérèglement climatique est impalpable et non quantifiable.

Il est plus facile pour un·e individu·e de se mobiliser contre l’aménagement d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires, d’une autoroute, de la création d’un pipeline mais pas nécessairement contre les dérèglements climatiques : des phénomènes parfois non visibles ou palpables.

Comme défini précédemment, les impacts des dérèglements climatiques sont surtout visibles dans les pays moins développés que l’occident, même si nous commençons à en voir les prémices ces dernières années. Plus l’impact est lointain, plus le chiffre est élevé ou alors la situation complexe avec plusieurs facteurs, moins notre cerveau arrive à identifier et intégrer la problématique. Marshall mentionne l’impact du tabagisme sur les jeunes mais nous pouvons aussi citer l’argument des générations futures, cela ne représente rien pour la plupart des individu·e·s car elles ne sont pas encore présentes et ne peuvent s’exprimer. 

“Intellectuellement, notre cerveau comprend l’ampleur du problème. Mais nous ne le ressentons pas. Nous balayons les gros problèmes sous le tapis pour rester sains d’esprit”

“Nous savons qu’une des bonnes façons de mobiliser les gens, c’est de les rendre fiers de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont”, conclut Marshall.

L’éco-anxiété

Aussi appelée “solastalgie”, l’éco-anxiété est un sentiment de détresse face au dérèglement des écosystèmes. C’est donc une forme d’anxiété qui trouve sa source dans l’inquiétude liée aux enjeux environnementaux et à leurs conséquences sur l’humanité. Ce sentiment de détresse bien réel émane du constat selon lequel l’environnement proche se dégrade de manière irrémédiable et que nous allons être directement impacté·e·s.

En soi, l’éco-anxiété n’est pas encore un diagnostic cliniquement reconnu, mais c’est un phénomène bien réel pour de plus en plus d’individu.e.s. Ce type d’anxiété est un concept relativement nouveau dans l’esprit populaire. Bien qu’il ne soit pas inclus dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), les personnes qui en souffrent décrivent de multiples symptômes, telles que des attaques de panique, une pensée obsessive, une perte d’appétit et de l’insomnie.

Selon l’Institut Douglas, l’anxiété est un mécanisme biologique dont la fonction est de nous protéger contre les situations dangereuses. À petites doses, elle nous protège, alors qu’au contraire, une anxiété excessive peut nous emprisonner et nous rendre malade.

Le déni comme mécanisme de défense ?

Paradoxalement, d’après le psychologue norvégien Per Espen Stoknes, certain·e·s ont plutôt recours au déni quand vient le temps d’aborder les changements climatiques afin de préserver leur équilibre mental. Le professionnel a analysé les taux d’inquiétude face aux changements climatiques depuis la fin des années 1980 dans plus de 39 pays occidentaux et a constaté que plus le niveau de certitude d’une urgence est présent, et moins les gens auraient tendance à se sentir concerné·e·s. L’idée de créer une distance entre nous et une menace – tant en termes de temps et d’espace – facilite le processus de déni.

Quelques chiffres 

Autrice d’une enquête sur l’éco-anxiété menée entre septembre et octobre 2019 auprès de 1264 participants, Charline Schmerber considère qu'”éco-anxiété” n’est pas le terme le plus adapté pour décrire ce phénomène : “cette expression me semble assez réductrice. Les gens qui ont répondu à mon enquête ne ressentaient pas nécessairement de l’anxiété”. 84 % des personnes interrogées affirment en effet ressentir d’autres types d’émotion, comme la colère (24 %), la tristesse (18 %) ou l’impuissance (9 %). Trois principales sources d’inquiétude apparaissent clairement : l’érosion de la biodiversité, les ressources en eau (quantité et qualité) et le réchauffement climatique. 

Certaines personnes sont comme paralysées par cette angoisse et peuvent entrer dans “des formes de mécanismes compensatoires ou avoir des répercussions sur leur santé physique”, explique la psychothérapeute. Dans mon enquête, cela correspond à 30 % des répondants”. Pour d’autres, l’éco-anxiété se manifeste par une oscillation entre l’envie d’agir et l’impression que les actions ne servent à rien : “Soit je suis prostrée et je n’arrive plus à faire grand-chose, soit je suis hyperactive et je monte des projets avec mon collectif écolo et je m’épuise… pas de juste milieu”, peut-on lire dans les témoignages. Enfin, 67 % des personnes interrogées disent se tourner vers l’action, avec espoir. “Il y a une stratégie de coping face à l’éco-anxiété. L’action est très salvatrice, elle permet de passer d’un sentiment d’impuissance à celui de l’utilité, explique Charline Schmerber. Cela peut passer par de petits gestes (une transition au “zéro déchet” ou un changement de consommation alimentaire) ou par un investissement plus collectif : certains rejoignent des mouvements citoyens comme Extinction Rébellion. Ils cherchent à sensibiliser, mais aussi à se regrouper et favoriser l’entraide”. Plus récemment, une étude financée par l’ONG Avaaz a montré que ce phénomène d’éco-anxiété touche particulièrement les jeunes et estime que trois quarts des jeunes jugent le futur effrayant.

Pour résumer, les biais cognitifs et freins psychologiques dont nous sommes victimes ne sont pas des fins en soi. Des leviers permettant de contourner ces limites peuvent nous permettre d’agir et de reprendre le contrôle de notre processus de prise de décision. 

En effet, nous l’avons évoqué précédemment, notre cerveau n’est pas conçu pour analyser des informations en grandes quantités ou des données lointaines géographiquement. Cependant, en ramenant les informations à une échelle compréhensible par l’individu·e, cela change le paradigme : il sera plus aisé pour une personne de s’identifier et d’intégrer une problématique si elle engage des données locales connues par l’individu·e en question. 

L’initiative que nous proposons s’appuie alors sur ces facteurs déterminants : pour mobiliser l’individu·e, il faut être à même de comprendre son environnement et la perception qu’iel en a.

 Ainsi, le projet de cartographie interactive répertoriant les préjudices écologiques sur le territoire de France métropolitaine et d’Outre-mer intègre ces facteurs : analyser et personnifier les menaces localement afin de communiquer, sensibiliser et impliquer les individu·e·s.

Bibliographie

1 réflexion sur “Les freins psychologiques”

  1. Très intéressant mais j’aurais aimé voir aborder également le facteur psychologique qui sous-tend la non-remise en cause des habitudes de consommation et de mode de vie, et donc leur attachement ou leur dépendance, qui provoque l’inaction assez générale des individus devant la résolution des problèmes environnementaux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *