Entretien avec Marie Ortega, maraîchère bio

Dans le cadre de notre investigation sur les pesticides, PachaGaïa a sollicité l’expertise d’une professionnelle, ayant choisi de pratiquer une agriculture biologique, respectueuse de l’environnement et de la santé humaine. Durant cet entretien la question posée est la suivante :

L’agriculture biologique est-elle vraiment bio ? Et est-ce une alternative pour tous ?

Qui est Marie ?

Marie Ortega, actuellement maraîchère dans l’Oise depuis une dizaine d’années à connu un parcours un peu « dévié » selon ses mots. Elle a grandi dans le milieu agricole, avec un père céréalier en conventionnel puis en bio à partir de l’année 2000. Marie, durant sa jeunesse, n’a jamais été attirée par l’agriculture ce qui l’amena à faire des études d’ingénierie mécanique. Après avoir travaillé pendant quelques années dans des bureaux d’études, elle s’est posé la question d’une reconversion et l’agriculture était le domaine qui lui parlait le plus. Avec son compagnon, Marie s’est installée sur les terres que son père lui céda en 2012, actuellement elle cultive 3,5 hectares de légumes, en bio. Avec une cinquantaine de variétés différentes, Marie vend sa production sur place et en AMAP en région parisienne.

Pourquoi avoir fait le choix d’une agriculture biologique pour votre exploitation ? Est-ce que vous pouvez nous présenter les difficultés et les atouts d’une agriculture bio ?

Les produits utilisés en agriculture biologique varient en fonction du type de ravageur. En effet Marie Ortega nous explique que pour le cas des attaques de chenilles, il existe un produit utilisable en agriculture biologique qui est une souche de bactéries qu’on va pulvériser sur les plantes pour que les chenilles l’ingurgitent et meurent. C’est un produit très intéressant parce qu’il ne va cibler que les chenilles, les abeilles ou autre type d’insectes qui en sont à un stade larvaire qui ingurgitent le produit ne vont pas être impactés. Il y a d’autres produits, par exemple en cas d’invasion de pucerons, qui est à base de spinosad. Ce produit fonctionne comme décrit précédemment, C’est un produit fermenté dérivé du mélange de deux toxines sécrétées par la bactérie du sol Saccharopolyspora spinosa. Marie nous partage son ressenti sur ces produits :

« C’est une substance qui va détruire tous les insectes vivants de près ou de loin qui seront en contact avec le produit. Ça va tuer non seulement les pucerons, mais aussi les prédateurs des pucerons, et tous les autres insectes qui participent à un équilibre naturel dans la parcelle. C’est autorisé en bio puisque ça vient d’un dérivé d’un produit naturel, mais néanmoins c’est pas du tout anodin pour la faune.  Il y a certains autres produits, par exemple, l’huile de nem qui est une huile essentielle très forte, et n’est pas très sélective. En fait, pour moi, ce n’est pas la philosophie de l’agriculture biologique que j’imagine. C’est-à-dire que si on fait de l’agriculture biologique comme on fait de l’agriculture conventionnelle, mais en utilisant que des produits naturels, pour moi ce n’est pas cohérent. On reproduit un modèle qui ne s’appuie pas assez sur les équilibres naturels. »

faune

De nombreuses études nationales estiment que 80 à 100% des Français sont contaminés par les pesticides, et que ces pesticides sont presque omniprésents dans notre environnement. Alors est-ce qu’on peut garantir que les cultures bio sont bio à 100% ?

« Non, évidemment. En fait, ce qu’on dit souvent en bio c’est que ce n’est pas une obligation de résultats, c’est une obligation de moyens. »

En effet, il est impossible de garantir du 100% bio, les agriculteurs bio font tout ce qu’ils peuvent pour qu’il y ait le moins de pesticides possibles dans leurs produits, mais par exemple Marie arrose ses plantes avec de l’eau qui vient d’un forage, donc d’une nappe phréatique.

« Dans la nappe phréatique il y tous les produits qui ont été épandus dans les années 60, 70, 80, tous les produits épandus avant moi et autour de chez moi, donc je ne peux pas garantir à 100% qu’il n’y aucun résidu de pesticides dans les sols et c’est pareil pour le sol en lui-même. Il a été cultivé pendant je ne sais combien de temps, par mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père quand ils étaient en agriculture conventionnelle, et donc il y a encore des résidus de produits chimiques en bio. »

« Mon voisin quand il traite et que le vent vient chez moi, même s’il fait attention en général à ne pas traiter quand il y a du vent, il y a quand même des produits qui arrivent jusqu’à ma parcelle. Alors j’ai des haies, j’ai des bandes enherbées en bordure de parcelle, mais ce n’est pas une garantie à 100%. »

 Donc on ne peut pas garantir un produit sans pesticides, et encore moins sans résidus de pesticides.

Alors qu’est-ce qu’un label bio ?

Le label bio c’est plutôt un indicateur des pratiques actuelles, ce n’est pas une garantie à 100% d’une non-pollution des produits, car c’est impossible à garantir selon les mots de madame Ortega.

Est-ce que vous pensez que les labels actuels pour encadrer l’agriculture biologique sont suffisants, compréhensibles, et est-ce qu’ils encadrent correctement le bio ? Si ce n’est pas le cas, quels en sont les problèmes ?

Marie : « Je pense que ce n’est pas compréhensible. Je fais souvent dans mon exploitation des visites avec des scolaires, des clients… et déjà ce que je viens de vous expliquer, sur l’obligation de moyens plutôt que de résultats, les gens ne comprennent pas. Il y a même des gens qui disent « mais vous avez un tracteur alors que vous êtes en bio, qu’est-ce que ça veut dire ? ». En fait, disons que les cahiers des charges des labels, les gens ne les connaissent pas. Ils ne connaissent que l’aspect marketing du label, et ça crée la confusion. En ce moment, par exemple, il y a un label qui commence à être un peu en vogue, qui s’appelle « Haute valeur environnementale », c’est un label qui a été mis en place par des agriculteurs conventionnels qui veulent se tirer la couverture par rapport au bio en disant « nous on est à haute valeur environnementale, on est presque bio » alors qu’en fait, derrière ce label, c’est juste respecter les doses prescrites par les fournisseurs de produits et par la législation, mais utiliser n’importe quel produit phytosanitaire, ça crée la confusion. Rien que définir ce que c’est le bio ou n’importe quel label, que ce soit bio-cohérence ou un autre, je ne pense pas que les consommateurs soient très au courant. Qu’est-ce qu’il faudrait pour l’améliorer ? De l’éducation à la consommation, tout simplement. »

Si vous deviez résumer, qu’est-ce que ça veut dire manger bio finalement, pour vous ?

« Pour moi, personnellement, comme je suis agriculture en bio, j’essaie de consommer les matières premières bio et pour moi ça veut dire que je soutiens des fermes qui travaillent dans la même démarche que moi, qui travaillent dans le bon sens, qui ne sont pas exploitées par des coopératives, qui ne sont pas à la merci de marchands de produit phyto, qui essaient de faire leur boulot le mieux possible en respectant le plus l’environnement et qui essaient de pas faire n’importe quoi en termes de pratiques agricoles. Ça va plus loin que le côté environnemental, pour moi. Par ricochet, l’agriculture bio est souvent plus respectueuse des conditions de travail, des humains aussi. Ce n’est pas le cas pour tout. Il y a maintenant pas mal de bio industriels, et le bio qu’on trouve en supermarché ce n’est pas toujours la panacée, mais pour moi c’est toujours mieux que du conventionnel et c’est forcément toujours moins traité. »

En effet, Marie nous explique les étapes pour cultiver des épinards, elle prépare son sol, les plantes puis les récoltes. Si les épinards sont victimes d’une attaque de pucerons, champignons ou virus du sol Marie ne peut rien faire. Mais si tout se passe bien, les seules interventions de faites sont de planter, d’arroser puis de récolter. Contrairement à l’agriculture conventionnelle où pour la même culture on retrouve une étape de pulvérisation de désherbant avant de planter mais aussi une pulvérisation d’insecticide ou fongicide ou les deux en fonction des attaques de ravageurs. Finalement, Marie nous explique que pour la même culture, il y aura eu trois ou quatre traitements sur les produits contrairement à zéro pour elle. Donc, forcément, ce sera moins traité et il y aura donc moins de produits qui ne sont pas du légume dans le légume.

Est-ce que vous pensez qu’on peut tout cultiver sans pesticides ? Et, surtout, est-ce qu’on peut nourrir l’humanité sans pesticides ?

Pour Marie Ortega, ne pas utiliser de pesticides de synthèse pour nourrir l’humanité est évidemment possible. En revanche, sans produits pesticides naturels c’est moins certains.

« Sans pesticides issus de l’industrie chimique, pour moi, oui, sans pesticides naturels… Au bout d’un moment, quand il y a des attaques trop fortes, ou qu’il y a des conditions climatiques pas adaptées… On est contents d’avoir un produit et une solution pour sauver notre culture. Sans pesticide ou sans solution technique contre les ravageurs, peut-être pas, mais après en agriculture biologique je pense que oui, à titre personnel, je ne crois pas aux gens qui disent qu’on ne pourra jamais nourrir toute la planète si on ne fait que du bio, parce qu’en fait… Enfin, là, c’est plus un discours politique que je vais vous tenir mais l’agriculture telle qu’elle est pratiquée et productiviste… C’est-à-dire, la monoculture productiviste… pour moi ce n’est pas une solution pour nourrir la planète. Si on produisait sur place ce qu’on consomme sur place, il y aurait moyen de nourrir tout le monde avec une agriculture respectueuse de l’environnement. Mais là, l’agriculture qui est pratiquée quasiment partout dans le monde, ce n’est pas de l’agriculture vivrière, c’est de l’agriculture d’exportation, c’est de l’agriculture de spéculation. Et ça, on voit avec le contexte de la guerre en Ukraine, comme il y a 80% du tournesol mondial qui est produit en Ukraine, maintenant qu’il y a un flux tendu sur le tournesol, tous les rayons sont vides, et tout le monde se demande comment on va faire pour avoir du tournesol l’année prochaine parce que la campagne du tournesol devrait commencer maintenant. Mais entre la spéculation et le fait que tout le tournesol est cultivé là-bas, évidemment, ça crée des blocages, alors qu’on peut cultiver du tournesol partout dans le monde. Et si on n’est pas un pays où le tournesol pousse, on utilise un autre produit. Malheureusement ce n’est pas le sens de l’agriculture mondialisée actuellement. La spéculation sur les produits agricoles fait beaucoup de mal à l’agriculture. »

Pour conclure, est-ce que vous connaissez d’autres alternatives aux pesticides, complémentaires ou différentes de l’agriculture bio, qui peuvent aussi être intéressantes ?

Pour répondre à cette question, Marie nous parle des pratiques qu’elle a mis en place sur ses cultures

Quand j’ai des attaques de pucerons en serre, je fais des lâchers d’insectes. On a un peu en tête les larves de coccinelle qui mangent les pucerons, mais pas seulement. Il y a aussi d’autres insectes qui vont venir détruire les populations de pucerons. Au lieu de traiter, je fais ça. Souvent, les alternatives c’est plutôt de la prévention et de l’observation et pas du curatif comme on pourrait le faire avec des produits. Par exemple, en extérieur, je sème des bandes fleuries qui vont attirer toute une population d’insectes et qui vont être un réservoir de prédateurs en cas d’attaques de ravageurs. C’est aussi un peu une philosophie, c’est-à-dire que cette culture-là, on accepte qu’elle foire un peu plus parce qu’on n’a pas envie de traiter, par exemple. Et en effet, le bio c’est un petit peu plus cher parce qu’il y a un peu moins de rendements, quand ça ne se passe pas bien. Quand ça se passe bien, en général, c’est quand même assez équivalent. Après, il n’y a pas d’autres labels qui encadrent ce genre de pratiques, enfin en tout cas je ne les connais pas. Peut-être les labels de biodynamie, mais là je ne saurais pas vous en dire plus. »

Merci encore à Marie Ortega pour son partage de connaissances et d’expériences.

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